mardi 29 janvier 2008

Un musc-have



Muscs Koublaï Khan de Serge Lutens, j'en rêvais... Ça devenait même une obsession ! J'en ai pris possession à une table de la Brasserie Paul encore encombrée de reliefs du déjeuner de Nouvel An. Ce parfum, je l'attends depuis neuf ans. Autant dire que je crois l'avoir mérité. Depuis que dans les Salons du Palais-Royal, j'ai été envoûtée par cette nappe de musc qui me rappelle une senteur bien précise : celle d'une trousse de toilette en porc qui appartenait à mon grand-père. Dans la trousse, des flacons vides où persiste une odeur sourde que j'identifierai bien plus tard comme du musc.
Voilà pour la petite histoire. Je ne crois pas que mon grand-père ait jamais porté du musc, ni même utilisé cette trousse...
Je déballe donc le flacon sous le regard amusé d'un Anglais qui doit se demander quelle est cette folle qui s'agite au milieu de ces sacs en papier. Petite déception, le beige et le noir ont remplacé le mauve à liseré violet du cartonnage des premiers temps. Mais c'est un détail trivial ! Je poursuis le déshabillage. La bouteille en forme de cloche jaillit du carton. Une goutte de parfum sur mon poignet. Je suis décontenancée : c'est une note animale (faut-il dire bestiale ?) qui fuse. Le suint de chèvre est ce qui me vient en premier lieu à l'esprit et croyez-moi, je sais ce que ça veut dire, j'ai déjà caressé des chèvres et même donné le biberon à un biquet !
Ah, j'ai fait une erreur en me fiant à mes souvenirs ! Ils ont, le temps aidant, embelli cette fragrance qui n'est pas faite pour moi ! Cette note si peu civilisée, si peu politiquement correcte, s'estompe assez vite cependant. Je trouve que cet aspect cuiré continue à dominer la composition mais d'une façon plus "convenable". Un peu sur l'autre poignet, un peu derrière les oreilles...
Et puis... on s'est apprivoisés.

Mais l'amour a bien des mystères, et la nonne (presque moi ;-), NdA) aima le brigand*...

J'ai retrouvé "mon" musc, celui qui me transporte dans mon enfance, dans le mystère des flacons de la trousse en porc, et beaucoup plus que cela. Ce n'est pas un sent-bon, un jus anodin. C'est un parfum. Il faut l'assumer. Accepter de plaire ou déplaire. De porter quelque chose de différent. Je n'ai pas l'ambition d'en faire une analyse "technique", mais j'aime son élégance un brin années 70 avec sa note cuir, son musc suave et tenace et son fond poudré (où j'arrive maintenant à distinguer la rose). Il se fond longuement et doucement dans la peau. Sa tenue est magistrale et j'ai plaisir à le retrouver au détour d'un col ou dans les plis d'une écharpe. Il oscille entre familiarité et étrangeté - je lui trouve parfois des accents de sébum ou de laque à cheveux ! C'est une main de velours dans un gant de cuir.
Ce que j'aime aussi : pas d'épate, pas de fla-fla autour de ces créations. Rareté, exclusivité ne sont pas des arguments décisifs dans le choix d'un parfum Lutens. On est je crois au-delà de la notion de luxe. Chacun de ses parfums est une évocation, un tableau aux multiples dimensions. On n'est ni dans le passéisme, ni dans l'avant-garde, ni dans la provocation gratuite, infantile. On est, je dirais, dans la poésie, un mouvement de poésie orientaliste qui aurait saisi la parfumerie, ou du moins ce microcosme parfumé qui palpite au cœur du Palais-Royal.

*La légende de la nonne, Victor Hugo

mercredi 23 janvier 2008

Colette de Saint-Saëns




J'aime bien Saint-Saëns. C'est joli, c'est animé. Le vrai bourg normand tel que je me le représente. J'y suis allée pour la première fois au début du XXIème siècle. C'est le mois de juin. Colette et Marcel tiennent le café où le loustic avec qui je sors (on ne citera pas son nom) m'a entraînée dès le premier jour. Le loustic est là comme chez lui, mais il est comme chez lui partout ! C'est un café de village comme tant d'autres j'imagine, le genre d'endroit où j'ai rarement l'occasion de mettre les pieds. Des hommes qui matent. Des blagues en dessous de la ceinture.
C'est le week-end de la Pentecôte. Dans un angle de la salle, la télé diffuse des images de Roland-Garros. Mon accompagnateur reluque l'écran, harangue des connaissances, siffle des ricards. J'aurais envie prendre mes jambes à mon cou s'il n'y avait Colette. Tout de suite, elle m'a à la bonne. Chacune d'un côté du comptoir, on discute. Dans ce monde d'hommes, on s'accroche l'une à l'autre. Ensemble, on fait face à la misogynie. Je découvre une femme très fine, intuitive, réfléchie. Une femme qui a des soucis, aussi. On se trouve des affinités. Je crois qu'elle m'a cernée très vite. Elle connaît le loustic mieux que je ne le connais, mais je n'en sais encore rien. Contrairement à moi, elle ne se fait plus d'illusion à son sujet. Elle sait que la survie de notre couple est des plus aléatoires. Elle cherche à me mettre en garde par des messages subliminaux : "Quoi qu'il arrive, on reste en contact !" Et elle me donne son numéro de téléphone.
J'ai trouvé en elle une alliée, et c'est réciproque. "Je t'adore", me lance-t-elle un jour.
Puis vient une période où les occasions d'aller "là-bas" se font rares. Un Lundi de Pentecôte - un an après -, je vais prendre le café avec ma mère "Chez Colette et Marcel". On parle de nos connaissances communes. Les choses ne sont plus tout à fait les mêmes. Colette a envie de quitter Marcel, de quitter cette atmosphère délétère.
Le dernier signe d’elle est un message sur mon téléphone mobile, en septembre 2003. Elle devait me rappeler. Ou était-ce à moi de l'appeler, je ne sais plus. Sa vie était en train de changer. Elle avait divorcé. Le café était fermé. Ma vie aussi changeait à ce moment-là. J'étais sur un petit nuage. J'ai perdu son numéro. Je l'ai perdue de vue.
Une fois, je me suis renseignée auprès d'un ou deux commerçants. Ils étaient nouvellement arrivés au village, ils ne savaient pas. Je n'ai pas insisté.

Il y a bien longtemps que je ne suis pas passée à Saint-Saëns. La dernière fois les rideaux du café étaient tirés. Pas un signe de vie dans ce lieu où, comme le chantait Fugain, j'avais laissé un peu de mes amours. Et de mon histoire.
Evoquer ce passé me remue, évidemment. Mais à quoi servirait d'avoir une chambre normande si ce n'est pour y accueillir des amis d'hier et d'aujourd'hui, hein ? Je me suis promis qu'un jour, cette année, j'irais mener mon enquête à Saint-Saëns. Colette m'a-t-elle oubliée ? Aurions-nous des choses à nous dire ?
Zut, j'aimerais bien citer une phrase de Cortazar pour conclure (et faire ma maligne !), mais j'en ai oublié les deux tiers. Ce serait quelque chose comme "en croyant vous parler de Colette, je vous ai en fin de compte parlé de moi". Tout ce qu'on dit revient-il à parler de soi ?
Si je retrouve la citation je la mets ici, promis !
J'espère que tu es heureuse, Colette.

jeudi 17 janvier 2008

Ville d'histoire...

Poser un pied à Rouen, c'est faire un saut dans mon histoire. Archéologie perso à fleur de présent. A la différence près qu'en archéologie, les strates sont bien séparées et qu'à Rouen, elles sont perméables, elles se télescopent, s'interpénètrent. Les souvenirs surgissent et se juxtaposent, non pas en fonction de leur plus ou moins grande ancienneté, mais des associations immédiates de la pensée.
Mes propos corroborent sans doute l'idée répandue que Rouen vit dans et de son passé. Pourtant... J'aime la ville animée, où l'effervescence urbaine côtoie le calme des rues pavées qui vous recueillent quand la circulation des grands axes devient insupportable. Là encore on passe d'une époque à l'autre, comme si on était embarqué dans une machine à remonter le temps. C'est d'ailleurs ce que je fais à Rouen. Je ne ferais que ça s'il n'y avait le présent. Le bonheur de fouler à nouveau un sol aimé. Je retrouve avec plaisir mes petites rues, mes cafés, mes boutiques. L'appel régulier, le timbre des cloches de la cathédrale et du campanile du "Gros". Pour un peu on se croirait en Italie. Bonheur aussi de se laisser porter par ses pas, de marcher à la découverte de l'inconnu, faisant fi des ombres familières qui jaillissent parfois dans une ville que je ne voudrais ni ne pourrais laver des souvenirs.
Rouen, ville grise et bleue comme une "Cathédrale" de Monet. Tant de printemps, tant d'automnes ont passé sur elle et sur moi, sur elle et moi. Tant de soleils révolus et pourtant toujours renouvelés, toujours semblables. C'est la même lumière qui éclaire des jours différents. Mes souvenirs ne tiennent pas compte du temps et des saisons. C'est cette lumière que je retrouve à chaque fois. Quelque chose en moi s'est arrêté ici. Quelque chose que je cherche. Sait-on jamais ce qu'on laisse de soi dans un ailleurs finalement si proche ?
Allons-y, lâchons le grand mot : Rouen n'est-elle pas une ville plus fantasmée qu'expérimentée par les sens et l'esprit, par une vie quotidienne propre à forger des habitudes ? Je n'en sais rien. Sans doute. Un peu. Mais que j'arrête de me flageller, de mettre en question cet élan qui me porte vers la ville !
Rouen est pour moi liée depuis longtemps à ces vers d'Apollinaire :

Mon bateau partira demain pour l'Amérique
Et je ne reviendrai jamais
Avec l'argent gagné dans les prairies lyriques
Guider mon ombre aveugle en ces rues que j'aimais.


Mon bateau est parti mais je suis revenue. Mon ombre me suit, certes, parfois je l'interroge. Elle garde le silence.
Je reviendrai. Le soleil se lèvera toujours sur les quais de la Seine pour arracher de mouvantes étincelles à la surface de l'eau.

dimanche 13 janvier 2008

Le premier paysage...

Le premier paysage...


... que j'ai vu en 2008...


Pourville, où se trouve une des "incarnations" de ma chambre normande.


mardi 8 janvier 2008

A propos



Je n'ai jamais eu de chambre normande. Je ne sais toujours pas pourquoi je poursuis ce désir depuis près de trente ans longtemps. Les chambres normandes que j'ai occupées ont toujours appartenu à d'autres. Chambres d'hôtel, chambres d'hôtes. Chambres d'amis, chambres d'ennemis (si je commence à médire...). Mais jamais une chambre à moi. Une chambre où me poser. Une chambre pour y attendre. Une chambre où revenir.
J'ai des colombages dans la tête.
Pour l'instant, je navigue entre nostalgie et projets.
La chambre normande est une idée, un mythe, peut-être. J'occupe ici une chambre normande virtuelle, protéiforme et pourtant unique. Je m'y transporte, je la peuple de présences, de lectures, d'odeurs. De mon fidèle ordi. De solitude aussi.

La voici, ma chambre normande, réelle ou rêvée, par l'intermédiaire de ce blog.