vendredi 28 mars 2008

Aux petits bonheurs

Au coeur de Lille - A mon grand-père...

Je serais injuste si je ne parlais pas de la région où je vis et en particulier de Lille. Cent kilomètres aller-retour, l'histoire d'un après-midi. J'y fais régulièrement un petit tour. Rarement seule. Plutôt avec ma mère ou mon amie Valérie. C'est bien mieux pour le resto et les essayages en tout genre, fringues, maquillage et parfum ! Le "petit tour" doit être un partage, l'occasion de vivre des moments de complicité entre filles.
Ces petits tours sont stimulants, salutaires. Je vois du monde, je découvre des nouveautés. Je n'échappe pas au cafard quand je rentre, même si je suis heureuse de retrouver mon antre avec chats, ordi et bouquins.
Lille absorbe mon trop-plein d'ennui, de spleen. Elle m'aide à patienter en attendant de retrouver la Normandie. J'y transpose - provisoirement ! - mon ailleurs quand la Normandie se fait lointaine, incertaine, presque inaccessible... C'est bien réducteur, me direz-vous ! Pour moi, c'est important. J'ai des liens affectifs forts avec Lille, consolidés par des décennies années de fréquentation. J'y ai bien des souvenirs. J'y ai mes habitudes, mes incontournables. Mes lieux et mes sourires qui réchauffent le cœur. Un "noisette" à La Chicorée, du furetage au Furet et du fnacage à la FNAC, un arrêt (prolongé) au stand Mac du Printemps... Ce parcours n'est pas immuable, heureusement ! S'y greffent de nouveaux lieux, de nouveaux itinéraires, de nouvelles rencontres qui viennent enrichir mes "acquis". Découverte d'une jolie papeterie, d'un marchand de thé du Vieux-Lille... nouveaux points de repère qui me rendront la ville plus précieuse, plus consolatrice...
Lille, ville vivante, chaleureuse à laquelle manque pourtant l'ouverture de la mer ou d'un fleuve... Mais je ne saurais me passer de ces "petits tours", de ces bribes de bonheur entrevues ça et là.

Le bonheur, n'est-ce pas seulement une bonne heure ?*

Il ne faut pas négliger les petits bonheurs - surtout que l'existence du grand n'est pas avérée...

* Alfred de Vigny

vendredi 14 mars 2008

Amours impérisSables

Certains jours ensoleillés de cette fin d'hiver, j'ai envie de revenir à lui. Juste un pschitt sur les poignets. Pas plus - si je peux me limiter ! Je me dis qu'il est trop tôt, qu'il ne se développe, ne s'épanouit que lorsque le soleil commence à chauffer la peau. Comme lorsque je l'ai découvert, éblouie, par cette chaude journée de juillet, aux Galeries Lafayette Haussmann, il y a bien longtemps. Lui, c'est Sables, un parfum d'Annick Goutal. Un vieux compagnon de qui il me reste encore beaucoup à découvrir.

On ne dit rien
Quand le temps assassin
Enterre nos amours périssables
Sous le sable
Mouvant

Non, le premier pschitt sera pour les beaux jours. Je pourrai alors m'en envelopper sans retenue. Il m'attend, je l'attends. Comme la ritournelle nostalgique de Keren Ann, sa polyphonie m'interpelle. Rien de triste chez lui pourtant. Plutôt une impression de plénitude solaire. Les effluves qui s'échappent du flacon que je garde en permanence dans mon sac de voyage viennent me frôler, telles des bribes d'été flottant dans l'air, arrachées au temps passé.
Ce qui m'a séduite et continue à me séduire chez Sables, c'est qu'il ne ressemble pas à un parfum ! Là résident son originalité et le pouvoir d'attraction qu'il a sur moi depuis près de dix-neuf ans ! Il a surgi dans ma vie quatre ans après l'Heure Bleue, et mes deux amours ont longtemps cohabité dans mon cœur et - en alternance - sur ma peau. Le Guerlain m'enveloppait l'hiver, le Goutal m'accompagnait à la belle saison. Pas de jaloux !
Sables, créé par Annick Goutal pour son mari violoncelliste, ne possède "à mon nez" rien de spécifiquement masculin... ni féminin ! "Inclassable", pour reprendre l'argumentaire de la maison Goutal, est une épithète qui lui convient. Chaud, voire brûlant, tel que je l'ai ressenti la première fois sur ma peau, il est sans emphase et ne libère pas de volutes florales entêtantes, hormis l'odeur des immortelles, qui me rappelle celle poivrée et légèrement sucrée des giroflées. Ou les promenades estivales sur le Grand-Bé, à Saint-Malo ! Une note étonnante m'évoque la casse, une gousse ligneuse qui renferme des graines connues pour leurs vertus... laxatives ! Elle perdure, perdure, alliée à une odeur herbeuse, terreuse de plantes macérées dans l'eau-de-vie. Luca Turin* parle, à propos de Sables, d'herboristerie : on ne pouvait plus justement qualifier cette phase de son développement ! Opopanax et patchouli ne figurent pas dans la liste de ses composants, mais je jurerais qu'il en contient. Quoi qu'il en soit il ne ressemble à rien d'autre...
Je lui reproche parfois sa volatilité, son manque de tenue sur la peau. Paradoxe : il m'arrive d'en retrouver les arômes - vanille et opopanax en tête - sur des vêtements lavés, repassés et rangés dans une armoire, bien des mois après le "parfumage". C'est à chaque fois une impression étrange, comme si mon parfum m'avait donné rendez-vous...
Oriental (je lui trouve parfois des accents de Shalimar !) et original, unique dans la parfumerie, Sables a son langage. Secret mais radieux, il est pour moi moins entaché de sombre mémoire que l'Heure Bleue. Il n'a cessé de murmurer à mon oreille sa mélodie envoûtante, promesse infinie de soleil. Elle est semblable au bruissement du vent dans les herbes hautes.
Sables, c'est mon parfum des printemps qui s'en reviennent, des étés éternels. Mon grand réchauffeur de peau. J'en ai laissé quelques molécules dans mes chambres normandes. Nos amours sont périssables, et lui et moi avons l'un contre l'autre enterré bien des étés, bien des heures précieuses, bien des soleils couchants. Je n'exclus pas la perspective d'infidélités (atroce mentalité !) et louche du côté du Palais-Royal. Mais une évidence s'impose au milieu de mes incertitudes. Le "temps assassin" n'a pas encore eu de prise sur Sables.

*Parfums: le guide. Merci Ambre Gris ;-) !