samedi 31 janvier 2009

Duel (road rage)

Un jeudi ou un vendredi après-midi, route départementale 1029 (ainsi nomme-t-on à présent ma chère et mythique Nationale 29). C'est le retour après deux jours passés à Rouen et à Dieppe. Bonheur de retrouver deux villes que j'aime. Mais le voyage a un prix : il faut rentrer. Les conditions météo sont bonnes, le trafic clairsemé. Je roule tranquillement sans me traîner pour autant.
J'aborde la côte à la sortie d'Aumale. Rétrograder, reprendre de la vitesse... J'entends soudain des coups de klaxon prolongés, hargneux, qui me font sursauter. Dans mon rétro je vois l'éclat jaune d'appels de phares, à un mètre du pare-chocs. Ces phares sont les yeux qui percent une gueule blanche toute plate prête à m'engloutir. Ça grimpe. J'accélère. J'ai toujours le klaxonneur aux trousses. C'est un 40 tonnes blanc, sûr de sa force. Ma mère l'a déjà entendu s'en prendre de la même façon à l'automobiliste qui me suivait dans Aumale. Il grogne toute sa haine envers l'empêcheuse de rouler en rond que je représente. Tout ça me paraît d'une brutalité inouïe, incompréhensible. Qu'est-ce que je lui ai fait, à celui-là ? Pas fait d'entourloupe, pas doublé intempestivement... Non, ce gros-là m'a prise en grippe. Je suis devant lui. Je suis une femme. Il n'en faut pas plus pour exciter sa violence.
Transposons le décor dans les vallées du sud californien. Ces routes encaissées fréquentées par deux pelés et un tondu, je rêve d'y rouler un jour. Mais pas dans ces conditions-là. Pas dans un remake de Duel.
J'ai peur. Et je sens la colère monter en moi.
Nous sommes en terrain plat à présent. Devant moi une voiturette qui roule à 60 m'oblige à ralentir. Impossible de doubler pour le moment, des voitures arrivent en face. Le poids lourd rapproche, rapproche jusqu'à me coller au train, il déboîte à moitié dans les coups de klaxon et les appels de phares, empiétant sur la gauche de la chaussée. Toute la panoplie des moyens d'intimidation dont dispose un véhicule de ce gabarit.
Ce n'est pas la face tourmentée du "Peterbilt" de Duel, mais il s'en échappe un grondement d'entrailles bestial. J'essaie de garder mon sang-froid - je n'ai pas le choix. Il ne peut quand même provoquer un accident devant des témoins !
Que faire ? S'arrêter à la prochaine gendarmerie ? Composer le 112 ? Ma mère, à côté de moi, a noté le numéro de la plaque.
Je me retourne. Je vois un gros homme gesticulant - il a lâché le volant ? - et, sans doute, hurlant. Je n'ose imaginer les invectives qu'il profère à l'encontre de pauvres femmes. Mentalement, je les lui rends bien ! Contrairement au film, l'ennemi a un visage, c'est déjà ça. Mais à cet instant-là tout humour m'a abandonnée. Il me talonne toujours. Il se gargarise. S'il donne un coup d'accélérateur, je pars au fossé. Qui, "il" ? L'homme ou le camion ? Au bout de quelques kilomètres, je finis par doubler la voiturette. Ouf ! Je parviens à le "semer", mais mes yeux restent rivés au rétroviseur extérieur dans lequel se reflète toujours sa silhouette menaçante qui s'éloigne, heureusement. Mais quand il faudra de nouveau ralentir ?...

Voici l'entrée d'un village - Caulières ou Lignières-Châtelain. A l'instar de Dennis Weaver au volant de sa Plymouth, je grimpe sur le trottoir en catastrophe au risque d'"exploser" un pneu et m'arrête sur une place (pas dans un nuage de poussière mais peu s'en faut). Mon Dieu, pourvu que ça cesse ! Qu'il nous lâche, ce salaud !!! Et s'il se déviait lui aussi et venait nous pulvériser contre un mur ? Quelques secondes interminables s'écoulent. La "chose" passe en trombe sans même ralentir. Une cabine et une remorque blanches anonymes. Pas un nom, pas une adresse. J'attends quelques minutes avant de reprendre la route. Nous ne sommes pas au cinéma et le camion ne nous guette pas dans un chemin creux. Je le distingue encore, il est loin devant. Je finis par le perdre de vue dans la circulation un peu plus dense de cette fin d'après-midi.
Nous sommes sous le choc. Il faudra bien une heure pour commencer à souffler, à rire... Pendant ce temps, un "gros" sème peut-être la terreur ailleurs, auprès d'automobilistes "sans défense"...
J'adore conduire. Je conduis partout et dans toutes conditions. Je n'ai pas peur des camions. Mais là !!!

J'ai repris la RN 29 (oui, je fais de la résistance au changement !) pour me rendre à Dieppe lors du Nouvel An. J'ai revu le théâtre de la poursuite. J'ai ressenti une tension, éprouvé des sueurs froides rétrospectives.
Cela aurait-il pu mal tourner ?
J'ai emprunté Duel. Je voulais exorciser. Et puis ça a toujours été un de mes films préférés. J'ai frémi en le regardant. J'ai revécu cette scène ou plutôt cet enchaînement de séquences irréelles. Ça existe, même si les conséquences sont moins dramatiques...
Dans une interview, Richard Matheson, le scénariste du film, avoue s'être inspiré d'une expérience vécue - identique à la mienne ! - et parle de road rage, la rage routière. C'est exactement ça. La rage bête et aveugle qui provoque la colère impuissante et la peur. La violence routière, est-ce autre chose ?
La sauvagerie n'est jamais bien loin de notre "civilisation".
Il fallait que j'en parle.
Mais je reprendrai la route.

PS : les images sont tirées du film Duel de Spielberg.

samedi 24 janvier 2009

Un an

Il y a un an et quelques jours, je mettais en ligne ce blog. En quête de la chambre "fantôme", dont je ne sais si elle appartient au passé ou à l'avenir. Une première pour moi, et peut-être le début d'une aventure, essentiellement introspective certes, mais une aventure quand même. Ma chambre normande était au bout des lignes, au bout des mots. Il m'était donné de l'atteindre, de la meubler, de la peupler, de la faire vivre, de la vivre parfois. Pari tenu ? En un sens, oui, si cette chambre est destinée à rester une projection holographique. Et non, puisque mon rêve (puis-je parler de projet ?) ne s'est pas concrétisé.
Je n'ai pas trouvé ma chambre normande en 2008. Je m'en suis approchée. J'ai posé mes sacs en divers lieux, pour 24 ou 48 heures. Ce n'est jamais assez. Il y a la frustration teintée d'envie d'être toujours "chez les autres". Et les retours toujours si difficiles qui m'arrachent au sol normand. Il ne tient qu'à moi ? Je n'en suis pas sûre. Les choses ne sont pas si simples, et il m'appartient de me mettre "au clair" avec moi-même. De trouver le déclic, l'énergie, et de ne plus mettre celle-ci seulement dans l'écriture...
2008. L'Armada en juillet, la découverte de la merveilleuse chapelle de Flainville... J'ai suivi plusieurs fois ma petite route - ah, le coup au cœur en apercevant les eaux vagabondes de l'Eaulne !
J'ai (re)garni mon sac de rouges à lèvres, poussée par quelle frénésie, quelle peur du manque, quel amour de la couleur aussi ? Je n'ai pas manqué mon rendez-vous autoroutier de juin, le coeur meurtri par le départ tout récent de la Fée... (Le départ est moins récent mais le cœur est encore meurtri.)
Toujours sur le versant "triste", je ne suis pas allée à la recherche de Colette. Trop de souvenirs et d'émotion à la clef, et puis, excuse suprême, je n'avais pas le temps, la durée de mes séjours en Normandie étant mesurée.
Mon réveillon du 31 décembre a eu lieu au G..., euh, au Comptoir à Huîtres, et ça veut dire beaucoup pour moi. Je vous en reparlerai !
2008 m'a laissé des souvenirs, des regrets, des envies, la trace de bouffées d'émotion que je ne songe qu'à retrouver, renouveler, inlassablement... qu'attendre d'autre au fond d'une année "bien remplie" ?
Voilà. J'espère ne pas vous avoir lassés avec mes obsessions, mes retours sur le passé, ma velléité. Vos visites, vos commentaires me touchent énormément. Vous me donnez le désir de poursuivre ce cheminement. C'est ce que je peux souhaiter de mieux à mon blog : qu'il vous "rencontre".

Que 2009 soit pour vous un creuset à envies et à souvenirs. Bonne année à tous.

Photo : l'Eaulne à L'Epinay, point de départ de "ma petite route".