vendredi 25 décembre 2009

La bûche



De la bûche rituelle, telle que la confectionnait ma grand-mère, il ne reste plus grand-chose ce soir. L'art culinaire exige une formation constante, et chaque année j'essaie de m'améliorer.
Il est bien connu que c'est en bûchant qu'on devient bûcheron.

mardi 22 décembre 2009

Brebis de Douvrend


Le désir de Normandie me titille. A vrai dire il ne me quitte jamais. Mon dernier séjour sur les bords de Seine remonte à près de trois mois. Il serait temps de se remplir les poumons d'air normand et de regarnir le panier à souvenirs.
J'avais évoqué dans un précédent billet les brebis de Douvrend. Douvrend se trouve sur la départementale que j'emprunte lorsque je vais à Dieppe. Entre Londinières et Envermeu. Le village est arrosé par l'Eaulne, cette magnifique petite rivière dont la seule vue suffit à me remplir de bonheur : dès que j'aperçois ses berges, je ris. Je parlais depuis longtemps de ces ovidés devenus mythiques, sans confirmation de leur existence. Comme les physiciens qui prédisent le boson de Higgs dans leurs théories mais ne l'ont jamais observé. Jamais CERNé serait plus juste. Les brebis de Douvrend, c'était une private joke des familles. Pourtant j'espérais toujours que ma théorie se vérifie. Il y avait certes le fameux bélier de Fréauville, les illustres moutons de l'Epinay (rien qu'à écrire ces noms, le manque se creuse davantage), mais ce n'était pas ce que je recherchais.
Je n'ai pas eu besoin d'un accélérateur de brebis, d'un collisionneur à moutons niché dans le sous-sol genevois pour les voir enfin. En août 2007, j'en ai aperçu une, puis une deuxième, dans un pré qui domine la route. Cris de surprise et de ravissement dans la voiture ! Des gens qui se trouvaient sur le bas-côté se sont retournés sur mon passage. Pas comme le mouton retourné, je vous rassure. Mais mon intuition était confirmée !
Depuis je les ai revues régulièrement. Il y a quelques mois, pour être sûre que je ne rêvais pas ou ne souffrais pas d'hallucinations, je les ai photographiées. Elles sont bien réelles. Elles sont très belles, avec leur tête noire.  Et très paisibles. J'adopterais volontiers une d'elles.
Las, la dernière fois que j'ai emprunté ma petite route, elles n'étaient pas là. Elles avaient sans doute, en cette fin septembre, pris leurs quartiers d'hiver dans leur bergerie. J'en ai conçu une forte déception.
Pourquoi les brebis de Douvrend (qui sont peut-être des moutons) ? Qu'ont-elles donc qui les différencie des autres ? Tout est parti de ma chatte angora Mouna. Elle ressemble à une brebis (d'ailleurs très peu de mes chats ressemblent à des chats). Son miaulement s'apparente au bêlement. Je l'appelle Mouna-Mouton. Ou Mouna-Khnoum, du nom du dieu égyptien à tête de bélier qui modela les hommes dans la glaise sur son tour de potier. Mais pourquoi Douvrend ? Quel écho ce toponyme a-t-il éveillé en moi ? Mystère.
Quand reverrai-je ces ovins emblématiques de la Normandie, ou plutôt du voyage, de la Route (ma petite route qui se trouve affranchie d'un adjectif réducteur et adoubée au passage d'une très solennelle majuscule. C'est ça la force du souvenir). Ou, à défaut de les apercevoir, projetterai-je leur image dans une pâture désertée jusqu'au printemps ?
En espérant qu'elles n'aient pas fini en gigot.

mercredi 16 décembre 2009

Laissez passer les p'tits papiers...



Il m'arrive de faire du tri dans mes affaires, du nettoyage par le vide. Je me débarrasse de l'inutile. J'essaie. Facturettes de carte bancaire, tickets de caisse entre autres s'accumulent. Cartes de restaurants, aussi. C'est dans mon porte-chéquier que je rassemble le reliquat de mes actes d'achat. Il ressemble à un croque-monsieur bien épais. Disons plutôt un mille-feuilles composé d'innombrables épaisseurs de papier. C'est un journal.

Les tickets de caisse sont presque aussi éloquents que des photos. Idéal, quand on aime se souvenir, ou quand on a la hantise d'oublier. Quand on s'accroche aux petits faits de sa vie comme des écrins prêts à s'ouvrir sur des horizons plus larges et plus riches. Je suis allée à tel endroit tel jour, à telle heure. Je peux retracer mon parcours de ces dernières semaines, voire de ces derniers mois. Ces factures, ces notes tracent mon contour, ma silhouette, témoignent de mes activités. Je dépense, donc je suis. Mais c'est plus que cela.

Je retrouve les notes du Comptoir à Huîtres que je garde religieusement, comme si ce fait m'assurait d'y retourner encore et toujours. Comme un support à la mémoire, aussi.

Ce ticket si anodin d'un café, c'est une virée dans les étangs de la Somme qui m'a menée aux portes d'Amiens. Le temps s'est levé au fil du trajet. Soleil d'automne magnifique et doux dont les rayons plongent comme des doigts d'or pâle entre les branches des arbres au bord des plans d'eau. Un petit pont. Une écluse étroite, ancienne, aux berges de ciment désertes. Des canards, des gris et des blancs, si dodus que je les confonds d'abord avec des cygnes. Je passe sans m'arrêter, je n'ai pas mon zap de toute façon, mais mes yeux boivent tout ce qu'ils voient. Le village s'appelle Sailly-Laurette. L'église est un peu triste : elle a sans doute été reconstruite après la guerre... Et puis les cimetières militaires, anglais, australiens, néo-zélandais, à perte de vue. Des stèles comme si on les avait semées. Il y en a des milliers. Je pense à Tolkien, qui en 1916 passa quatre mois dans cette campagne et y vit tomber quelques-uns de ses meilleurs amis. Terre et hommes martyrisés… Terre de silence...

Là, c'est encore un petit crème, une halte sur mon aire d'autoroute, un jour de départ pour la Normandie.  Là, j'ai acheté ce bouquin à la Fnac, c'était tel jour. Là, un déjeuner au "Big", à Rouen. J'ai bu une Kwak pour accompagner ma (succulente) tarte camembert-poireaux. Le prix de la bière m'a fait sursauter.

Il y a aussi des photos de Garance. Elle venait d'arriver. Elle était encore petite. Elle se contorsionne au soleil. Elle me fixe : deux pièces d'or dans une petite tête triangulaire, curieuse. Je l'appelais "Garance Monnaie de Paris". Des numismates lui auraient arraché les yeux. 

Tout fout l'camp ? Mais non ! Des moments jaillissent, revivent, présents, brumeux ou ensoleillés, inscrits dans ces menues traces imprimées qui suffisent à les évoquer...

Images, papiers… autant de voyages qui déploient leurs ailes et s'envolent de mon porte-chéquier dès que je les remue…


Photo : la Somme à Cappy.

vendredi 4 décembre 2009

Au revoir, Taïga...



Ma chatte Taïga a été euthanasiée aujourd'hui aux environs de 18 heures. Voici quelques mois, elle avait été suturée pour une affreuse lésion au cou qui faisait suite à un abcès. L'opération avait réussi. Elle avait bien cicatrisé. Tout semblait bien se passer. En début de semaine pourtant, nouvelle plaie infectée qui lui laisse les chairs à vif... Il va falloir la conduire chez le vet. Je ne suis pas très optimiste... De fait, il n'y a rien à faire. Une nouvelle opération est risquée, voire impossible. Taïga encourt la septicémie. Ce sera alors bien pire. Reste à prendre "la" décision. Celle qui lui évitera les souffrances.
Ma mère et moi avons accompagné ses derniers instants. Taïga est partie avec des traces de rouge à lèvres sur le nez...
"Tataï" avait quatorze ans et demi. Elle était mon dernier lien avec Muscade, son père, le Roi des Chats, emporté par une insuffisance rénale à l'âge de cinq ans. Elle n'avait plus de descendance. C'était une maîtresse-chatte, une brave : lors d'un combat entre deux matous, elle n'hésitait pas à remettre ces énergumènes à leur place et défendait le plus faible. Les antagonistes prenaient le large sans demander leur reste. Elle se montrait aussi très maternelle - et possessive ! - avec tous les chatons, même s'ils n'étaient pas les siens !
De par son âge, de par ses origines, elle était un personnage historique. Petite chatte, forte présence. Elle est restée vaillante jusqu'à la fin. 
Le retour avec le panier vide, on ne s'y fait jamais...
En rentrant je l'ai cherchée, j'ai cherché sa présence. Elle avait sa place au salon, sur le dossier d'un fauteuil. Manquait sa petite silhouette sombre. J'ai cru la distinguer dans la pénombre pourtant. Je la "verrai" encore longtemps.
Une époque se termine...

Aimer les chats, c'est se condamner à en enterrer toute sa vie.
Alexandre Vialatte.