lundi 24 mai 2010

Mon beau navire Ô ma mémoire : adieu à la "Jeanne"


Le salut aux couleurs...

Bouh, c'est loin... (Plus loin que ça n'en a l'air.)

La Jeanne d'Arc part en retraite, après quarante-six ans de bons et loyaux services. Une retraite sans doute peu glorieuse, indigne d'elle, si j'en juge par le sort réservé à d'autres vaisseaux mythiques. Le Clémenceau et, dans le "civil", le France... Nous ne sommes pas un peuple de marins ! Et le navire-école fait escale à Rouen, sa ville marraine, pour son ultime tournée. Dès que j'ai appris la nouvelle, j'ai décidé d'aller lui faire mes adieux. Et raviver mes souvenirs...
J'ai visité la "Jeanne"  il y a seize ans, lors de l'Armada 94. En resquillant. Oui, je peux l'avouer à présent, car il y a prescription. J'avais, la veille au soir, bavardé avec des petits marins du porte-hélicoptères dans un pub de la rue du Gros (oui, je sais, on se croirait dans un roman de Mac Orlan). Ils nous avaient invitées, ma mère et moi, à visiter leur bateau : en faisant appeler l'un d'eux à la coupée, nous avions court-circuité la file d'attente qui s'étirait sur deux cents mètres de quai. Des ponts intérieurs à la passerelle, des cuisines au fauteuil du "pacha", nous avions accédé à des zones "interdites au public". Frayeur à un moment donné : le bateau bouge ! En fait, en raison de la marée, on est en train de retendre les amarres (j'apprends de la bouche de notre guide qu'on les appelle des "aussières").
Je recevrai, quelques mois plus tard, une carte postale du Cap Horn...
Beaucoup d'émotion donc en ce samedi après-midi. Tout d'abord, il faut (beaucoup) marcher. La Jeanne est amarrée en aval du pont Flaubert, autant dire au tonnerre de Brest. Mon point de départ est en amont du pont... et mes pieds, dans leurs sandales, ne sont pas équipés ! Je vois le bateau, au loin, tel un mirage, dans le soleil qui cogne sur le port. Irai-je jusque là ? OUI ! Je suis ici pour lui.
Alors, je marche, je marche. J'aime marcher sur les quais, j'aime l'activité des ports. A Rouen, tout semble ensommeillé, n'étaient les colonnes de piétons qui se dirigent vers le bout du quai ou en reviennent. Le bateau ne rapproche que lentement. Enfin, m'y voici. Des photos. Je suis filmée, index sur le déclencheur, par l'équipe de France 3 Haute-Normandie. Les images seront diffusées au journal de 19 heures. C'est mon hommage inattendu à la Jeanne.
Même à la veille de l'arrêt des machines, celle-ci se fait belle : dans une nacelle suspendue au-dessus de l'eau, deux marins armés de pinceaux-balais s'activent sur la coque. A bord, on prépare la réception du soir pour quelques privilégiés, dont je ne fais pas partie...
Pourtant je ressens de la tristesse dans l'atmosphère. Ce n'est pas la fête. La Jeanne n'est pas là pour ça. Bien sûr, elle sera célébrée comme il se doit, mais...
La tête pleine d'images, je rentre par le bus. Mes pieds meurtris m'en sont reconnaissants. Et j'apprécie de voir Rouen en me laissant conduire...
Il me semble qu'une époque prend fin. Les générations de marins qui ont servi à bord du vaisseau ou y ont été formées doivent éprouver ce pincement au cœur bien plus profondément que moi...
Les bateaux, comme tout le reste, sont faits pour passer.

Un jeune homme pomponné...

Ce n'est pas tout à fait l'image qu'on se fait d'un cap-hornier...

Dans la marine, si ça bouge tu salues, si ça bouge pas tu repeins.

 Pour les bordées en ville du commandant ?

La Jeanne, on l'aime peu ou... proue !

Une vieille (?) dame légendaire encore pleine d'allure.

R 97...

Tout est dit...

C'est en fini des voyages. La Jeanne ne reviendra plus à Rouen. Nul autre bateau ne pourra la remplacer.
Si ta vieille coque pouvait nous raconter, Jeanne, que dirait-elle ?...
Je pense à La chanson du Mal-Aimé :

Mon beau navire ô ma mémoire
Avons-nous assez navigué
Dans une onde mauvaise à boire
Avons-nous assez divagué
De la belle aube au triste soir ?

Où va la jeunesse, où vont les années, où vont les vieux bateaux lourds de la mémoire des vagues et du monde ?

Pour finir, cette magnifique chanson de William Sheller...


jeudi 20 mai 2010

Un goût d'inachevé


J'ai relu récemment Les meurtres du Titanic, de Max Allan Collins. Le bouquin était perdu depuis des années et je le cherchais. Il a été retrouvé, telle une épave par une mission océanographique. Et j'ai revu le film de James Cameron. La relecture du livre fut décevante, éloignée des souvenirs que j'en avais. Le visionnage du film fut palpitant, mais ô combien prévisible...
Mais ces œuvres m'ont replongée dans une atmosphère familière. Lorsque j'étais enfant, entre les contes de fées, les histoires de trolls et de princesses que j'adorais, s'intercalait le récit du naufrage du Titanic. Je ne sais pas pourquoi. Je le réclamais. J'ai absorbé le Titanic dans mon biberon (ou presque), j'ai eu le temps de m'en imprégner.
J'étais très jeune quand mon grand-père m'a appris que la partie émergée de l'iceberg ne représente qu'un dixième du volume du bloc de glace. Ce sont des choses fort utiles, et qui ne s'oublient pas. Même si vous n'avez pas l'occasion de croiser dans l'Atlantique Nord.
A la F**C, deux DVD étaient disponibles : le film tel qu'il a été diffusé sur les grands et petits écrans, et sa version allongée de scènes coupées au montage. Je me suis renseignée auprès du vendeur - qui n'a pas goûté ma question mais m'a confirmé : dans les deux versions, le bateau coule à la fin. Ce qui ne laisse pas de me décevoir et me confondre. C'est de l'arnaque ! Pourquoi pas un Titanic avec une fin heureuse, si on y met le prix ?
Stoppez les machines. En arrière toute. On ne devrait pas plaisanter avec ça.
Le Titanic, c'est une fascination qui ne m'a jamais quittée. Des images presque aussi anciennes que ma mémoire. Le grand paquebot filant dans la nuit. Superbe, "incoulable", sûr de sa destinée. Les lumières, la musique. Devant, New York, le port, les docks, l'accueil triomphal. Et puis, le choc. Le lent engloutissement. La nuit glacée, l'eau noire, les grincements sinistres de la membrure, les appels et les cris. "Il est insubmersible !". "Ce n'est pas l'eau qui monte, Monsieur, c'est le bateau qui s'enfonce". Réponse apocryphe, peut-être, mais si juste. Et si terrifiante...
Plus de mille cinq cents victimes. Des figures attachantes. La silhouette tutélaire du Commandant Smith. La conscience professionnelle de Thomas Andrews, l'architecte naval. Et tant d'autres...
Que peut-on en retenir, à six-sept ans ? Pourtant, bien longtemps après la fin de l'enfance, j'ai lu des ouvrages, vu des documentaires. "Il" n'a cessé de me hanter, comme un problème irrésolu sur lequel l'esprit vient buter. Comme la racine carrée de -1...
Titanic, objet de toutes les vanités. Titanic, si humain malgré ton nom, vieux compagnon de mon imaginaire enfantin...
Longtemps j'ai refusé de voir le film, de peur que mes représentations ne volent en éclats.
Sujet un rien tabou car, peut-être, sacralisé...
Un billet de blog ne suffit pas à parler de toi, du mythe que tu représentes pour moi, non...
Titanic, l'absent-présent... Le deuil impossible...
Sur un déclic - comme le fait de remettre la main sur ce bouquin - naît, de temps à autre, le besoin d'y revenir, de plonger dans son mystère. Au-delà de la tragédie, de son infinie résonance dans nos esprits, l'histoire du Titanic laisse un goût d'inachevé. Comme sa traversée interrompue. Ça n'aurait pas dû arriver. Où et quand la machine du destin s'est-elle enrayée ? Pourquoi ?
Encore aujourd'hui, on glose beaucoup sur les causes de la catastrophe. Vitesse trop grande en zone dangereuse, manœuvres inappropriées face à l'obstacle, mauvaise qualité des rivets, orgueil de l'armateur lancé dans  la conquête du prestigieux "Ruban Bleu". On a pointé des responsabilités. Mais saura-t-on jamais ?
Course à la performance et à la médiatisation, foi illimitée dans le "progrès"... Près de cent ans plus tard, sommes-nous si bien placés pour juger ?

Illustration : huile de Yannis Markantonakis.

lundi 17 mai 2010

Onze ans d'amour


C'est de Lara qu'il s'agira ici. Ma vieille Lara. Qui n'a pas toujours été vieille.
L'histoire commence en mai 99. De la fenêtre, je découvre dans le jardin un chat noir inconnu au bataillon.  Luisant tel l'obsidienne et magnifique. Un peu intimidé, aussi. Il fréquente les lieux pendant quelques jours, hésite à s'approcher... mais il est toujours là. Il a des yeux ronds et globuleux qui me font penser à Lara Fabian (pardon à ses fans... ou devrais-je dire "pardon aux ailurophiles" ?). C'est adjugé : le nom de Lara (c'est une demoiselle) lui sera octroyé !


Une assiette de nourriture sur le pas de la porte de la buanderie, et la bête est vite circonvenue.  A croire qu'elle n'attendait que ça. Dès le premier soir, elle s'invite dans ma chambre ! 
Elle est dorénavant chez elle.
D'où vient-elle, quel âge a-t-elle ? Ces questions resteront sans réponse. Est-ce si important ?...
Lara devient la Reine Noire de la maison. Comme mes autres chats, elle est affublée d'une foule de surnoms qui me viennent selon l'inspiration et l'état d'esprit du moment. Lara de Larnaka (pour l'allitération), le Tarsier noir (à cause des yeux), Lara Gibus (pour les reflets) et, surtout, Très-Belle.


La Miss s'est même permis une fugue il y a quelques années. Six jours d'inquiétude. J'étais absente à ce moment-là. Faut-il un y voir un rapport de cause à effet ?
Lara vieillit. Peut-être a-t-elle quatorze, quinze ans à présent ? Après de départ de Taïga et de Nacelle, elle doit être la Doyenne de la Faculté. Mais elle reste "Très-Belle" et continue de sauter sans effort apparent au sommet du buffet et de se livrer à ses tourbillonnantes "crises de chat", qui la font courir à travers la maison, à la poursuite de quelque proie invisible... Et elle fait toujours la chenille, dos arrondi, pour recevoir les caresses...
Je me demande toujours ce qu'elle voit quand elle vous fixe de ses yeux clairs. Un monde inconnu de nous-mêmes, peut-être, peuplé de quels rêves, de quels fantômes, comme si notre vraie nature lui était révélée, un espace qu'elle sonde de son regard intense sans juger, dans sa grande sagesse.
On ne peut pas tricher avec les chats.
Onze ans... Il me semble qu'elle est arrivée il y a si peu de temps...
Je lui ai même écrit une chanson mais chuuuuuut... c'est secret !



dimanche 9 mai 2010

"In silico"


On ne peut décidément pas trop compter sur la technologie moderne. Le chargeur de la Bête (c'est le petit nom de mon ordinateur portable) m'ayant lâchée à l'orée du week-end avec une batterie vide, j'ai rallumé ma vieille machine, trop heureuse de reprendre du service après neuf ans de fidèle compagnonnage.
Il faut toujours garder une poire pour la soif. Et une souris vaillante, quand vous démange l'envie de pianoter frénétiquement et d'être branché sur l'univers.
J'ai miraculeusement réussi à établir une connexion (en bricolant quelque peu la rallonge ADSL, que voulez-vous, je dois maintenir ma réputation de geekette !), chose que je croyais encore impossible il y a peu... et hardi (ou ordi) petit !
Mise à jour de l'antivirus et d'autres programmes, farfouillage dans les fichiers... J'ai décidé de faire du ménage dans ma messagerie. Les derniers e-mails remontent à août 2009 ; l'ordinateur n'a pas été relié au vaste monde depuis.
Je relis les messages avant de les expédier à la poubelle ou pas. Mais ce ne sont pas des messages, c'est un journal ! C'est mon histoire de ces cinq dernières années que j'ai sous les yeux ! Ma vie, la partie émergée de ma vie plutôt, se dessine en filigrane dans cette étoffe que je déroule, tantôt de façon linéaire, chronologique, tantôt par sauts de puce. Echanges intensifs : sur le temps qu'il fait, sur des bouquins. Satisfactions et déceptions professionnelles. Etres perdus de vue. Amitiés distendues, diluées, finies... Signaux de bon retour : "Coucou, je suis bien rentrée, pas de bouchons sur la route, j'ai passé une bonne après-midi !". Chats disparus et, parfois, revenus, tel ce sacripant de Mascaret... Le départ de la Fée me semble encore tout proche, tout frais, à travers les propos écorchés qui l'ont précédé et suivi. Parfois je me surprends : ces envolées sont-elles bien de moi ? E-mails échangés avec Sophie Calle, du temps de notre (brève) "collaboration", passée depuis à la postérité. Des sourires, malgré tout. Et une foule de choses dont je ne me souvenais plus, évidemment !
Alors je taille, je tranche, je sucre, j'élimine sans pitié et avec tout le discernement dont je suis capable. Je fais de la place. Au pilon, ce que j'ai envie d'oublier ! Et qui n'était pas si important. Garder l'essentiel ? Mais quel est-il ?
Une vie n'est peut-être riche que de petites choses, finalement.
Voilà comment un adaptateur dans les choux et un vieux confident à puce et clavier s'unissent pour vous titiller la mémoire et vous convier à une balade nostalgique. Faut-il en croire Apollinaire et le souffle de son Cor de chasse ?

Notre histoire est noble et tragique
Comme le masque d'un tyran
Nul drame hasardeux ou magique
Aucun détail indifférent
Ne rend notre amour pathétique

Et Thomas de Quincey buvant
L'opium poison doux et chaste
À sa pauvre Anne allait rêvant
Passons passons puisque tout passe
Je me retournerai souvent

Les souvenirs sont cors de chasse
Dont meurt le bruit parmi le vent.