mercredi 27 avril 2011

De nouvelles cordes à mon Arques

Des maisons de caractère...

Les anniversaires ont une fâcheuse tendance à revenir tous les ans. Qui plus est, à la même date, ce qui ne laisse pas de réduire à néant tout effet de surprise. Qu'à cela ne tienne, fidèle à la "tradition", je fêterai le mien en Normandie. Cette année, il coïncide avec les fêtes de Pâques.
Deux belles découvertes m'ont été offertes en ce week-end normand. Ou plutôt trois. Tout d'abord, le village d'Arques-la-Bataille. Dieppe n'est qu'à six kilomètres et pourtant, je ne le connaissais pas. Une lacune que je me suis attachée à combler en parcourant les rues, en admirant les maisons de brique pleines de cachet, en savourant la Normandie au propre comme au figuré.
Comment me suis-je retrouvée là ? Coup de cœur à distance pour le studio d'hôtes Cléome, découvert et choisi - faut-il dire "au hasard" ?-  sur le catalogue envoyé par l'Office du Tourisme de Dieppe. C'est décidé, c'est là que j'irai !
Cléome, je l'apprends, c'est le nom d'une fleur (ça me rappelle une réplique des Enfants du Paradis, où la fleur se nomme Garance...) élu par les propriétaires qui privilégient l'agrément de leur jardin. Dans leur longère, Carole Llanes et Sylvain Mouchel ont aménagé et décoré avec beaucoup de goût un "studio d'hôtes" très confortable qui possède un coin cuisine bien équipé, une télé et une agréable terrasse où il fait bon lézarder dans les chaises longues. L'ambiance décline avec bonheur un camaïeu de gris et de bruns harmonieux et reposants.  On est là dans un calme absolu, loin du bruit du trafic et de la folie urbaine. Le jardin qui s'étire le long du bassin-source offre une belle vue sur le château. On s'y balade parmi le parfum des lilas.
Une fois posé, on n'a plus envie de bouger, de courir Dieu sait où, à la poursuite de quoi, d'ailleurs ? Il suffit d'être là, de se laisser gagner par la paix et la tranquillité.

Un paradis de verdure...

 Capsule, gardienne des lieux

Au petit-déjeuner, les hôtes sont gâtés. Croissants friands à souhait, pain au lin, brioche feuilletée... On accompagne ces douceurs du café préparé avec la machine à expresso mise à disposition dans le coin cuisine.
Qu'ajouter, sinon que l'accueil chaleureux vous met tout de suite à l'aise !

La cour a permis d'abriter la "Tine"

Et puis, Cléome est bien situé. Arques présente, outre ses monuments historiques (château-fort, église Notre-Dame de l'Assomption bâtie au 16e siècle) et son environnement vert et aquatique (la Varenne traverse le village), des attraits propres à satisfaire tous les goûts. Quelques pas plus bas que le studio, en direction de Saint-Nicolas d'Aliermont, s'ouvre l'Avenue Verte, qui s'étire entre eau et végétation. Elle est propice à la marche, au vélo, au vidage de tête, bref à la relaxation.
Quelques pas plus haut, en direction du centre du bourg, se trouve un lieu où récupérer bien vite les calories perdues au footing.

 Une beauté dont on ne fait qu'une bouchée (ou presque !)...


Un gallinacé qui ne craint pas la grippe aviaire...

La découverte a commencé avec les croissants et le pain servis au petit-déjeuner : une qualité qui ne trompe pas. Elle s'est poursuivie avec les gâteaux, que je me suis empressée de goûter. M. Marques, le pâtissier chocolatier, est un artiste. Il n'est qu'à voir la poule Meccano qu'il a réalisée pour les fêtes de Pâques. Elle trône sur le comptoir avec majesté et accueille les clients qu'elle fixe de son œil rond. Les créations de M. Marques, d'un grand raffinement, enchantent  les yeux autant que les papilles. Derrière la vitrine du comptoir, la palette variée des pâtisseries défie toute tentative de résistance. La file qui patiente sur le trottoir en fin de matinée me dit que mon opinion est amplement partagée...
Une chambre normande où j'ai prévu de revenir. Une pâtisserie exceptionnelle.
Deux bonnes adresses, des lieux à connaître, des "rencontres" comme celles que j'attends de la Normandie...


Studio d'hôtes Cléome
23, rue de la Chaussée
76880 Arques-la-Bataille
02 35 84 16 56 / 06 09 38 12 74
cleome@cleomechambredhote.fr


Boulangerie pâtisserie Marques
1, rue de la Chaussée
76880 Arques-la-Bataille
02 35 85 53 47

lundi 18 avril 2011

Considérations picardes et olfactives

Une fleur de saison...

Un cerisier en fleurs et une pensée pour le Japon...

Un petit tour dans les étangs de la Somme, à la faveur du beau temps, voici une quinzaine de jours. J'apprécie toujours quelques heures de ressourcement en Picardie. Routes souvent désertes qui serpentent à travers la campagne vallonnée, canal, étangs... Tout invite à la lenteur et au calme. Je traverse un paysage à présent familier. La Grande Guerre y a apposé ses marques indélébiles, mais l'heure n'est plus au silence solennel. La nature émerge de sa léthargie hivernale et c'est un déploiement de couleurs autour de moi.

Un buisson buissonnant, dans sa parure de printemps

Un esprit un peu guinguette à l'ancienne, avec sa terrasse au bord de l'eau...

Je m'offre un détour pour admirer la "belle maison" de Méaulte. L'Ancre, limpide et vive, longe le terrain. Selon mes recoupements, il s'agit du Domaine des Viviers, demeure construite pour l'avionneur Heny Potez (NB : rien à voir avec le Chat Potté). Le pavillon du gardien, avec ses rondeurs de maison de Hobbit, vaut à lui seul le détour. La bâtisse elle-même est bien cachée au fond d'un parc. Je serais prête, comme le dirait Varg Veum, à louer la boîte aux lettres, si mes moyens me le permettaient. De plus j'aurais sans doute du mal à y tenir.

 Le mystère reste entier...

Et le parfum dans tout ça ? Eh bien j'assimile la belle maison de Méaulte à Vol de Nuit. Je les dirais unis par une même esthétique ; ils ont selon moi beaucoup en commun. Tous deux sont nés à la même époque - les Années Folles - 1927 pour l'une, 1933 pour l'autre. Tous deux évoquent le monde de l'aviation. Tous deux possèdent le même charme hautain et mystérieux. Ils ont l'étrange beauté, quelque peu figée, des choses modernes en leur temps et aujourd'hui surannées. Un décalage qui les rend fascinants. Comme si nos yeux, notre nez du XXIe siècle ne pouvaient capturer la totalité de leur âme ; une part en est destinée à nous échapper. C'est sans doute cela qu'on nomme nostalgie.
Amoureuse de Vol de Nuit, j'en trimballe toujours quelques fiolettes dans mes poches et mon sac, pour le plaisir de les humer où que je sois. L'extrait est, bien sûr, sublime. Il y a deux flaconnettes sur mon bureau, vides. En apparence seulement, car c'est la présence du parfum que je perçois en entrant dans la pièce. Les minuscules contenants de verre en ont gardé la trace et l'exhalent avec constance (sauf quand Sables, dont je m'arrose par beau temps, vient le bousculer sans ménagement).
Contrairement à la "belle maison", les "vieux" Guerlain (dont L'Heure Bleue, évidemment) sont des figures du passé accessibles. Je me dis que ces survivants d'époques révolues subsistent tant que nous leur prêtons notre peau pour perpétuer leur splendeur.

lundi 4 avril 2011

"L'écriture sur le mur", de Gunnar Staalesen


C'est toujours avec un peu de fébrilité que je découvre un nouveau Staalesen, une nouvelle enquête du détective Varg Veum, et me lance dans sa lecture. J'avais rencontré l'auteur norvégien à Yvetôt en novembre dernier. Un moment marquant en compagnie d'un homme simple, sincère et attachant. A l'image de son héros, Varg Veum ?
L'écriture sur le mur est son dernier roman publié sur notre territoire. Je l'ai reposé il y a peu sur ma table de chevet.
Malgré des déconvenues, malgré des meurtrissures de l'âme sur lesquelles son sens de l'auto-dérision lui interdit de s'apitoyer, Varg Veum garde sa "pêche", son sens de la justice et son humour auquel rien n'échappe. Une nouvelle mission lui est confiée : retrouver une jeune fille disparue. Point de départ somme toute banal qui va le lancer en quête de traces, si infimes soient-elles, de Torild, recueillies auprès des siens, et l'amener à découvrir des ramifications insoupçonnées à cette affaire. Les révélations se succèdent à mesure que l'on touche à la vérité. Les êtres se dévoilent, les âmes se dénudent peu à peu sous les questions de Varg. Les façades se fissurent, laissent place au désarroi. Et parfois à des choses moins avouables.
Confronté à ces hommes et ces femmes en mal de repères, le privé berguénois se garde pourtant de juger, de moraliser. Combatif et désabusé, il est avant tout le témoin d'un système mal en point. Les couples rencontrent l'échec, les frustrations s'accumulent, les jeunes vies tournent mal, tandis que l'absence de scrupules se révèle un trait de caractère indispensable à la réussite, si l'on peut appeler réussite la mainmise sur la pègre locale et les réseaux aux activités douteuses. Birger Bjelland, gredin patenté, que nous avons  croisé antérieurement, est l'exemple de cette figure mafieuse intouchable, et ses estafiers sont aussi stupides que dangereux. Face à cette organisation, une police quelque peu dépassée. Même l'inspecteur Dankert Muus, vieux comparse - faut-il dire "ennemi" ? - de Varg Veum semble avoir perdu en pugnacité et animosité à l'approche de la retraite. Ajoutons que cette fois, le détective a dû creuser trop profond au cours de son enquête : ses recherches ont agacé quelque malandrin et le voici menacé de mort. Bref, les choses risquent de se gâter pour lui s'il ne démasque pas à temps l'auteur d'un faire-part de décès... à son nom !
Le récit de ces péripéties inédites donne une lecture agréable, souvent palpitante, parfois angoissante (j'avoue appréhender les passages où Varg est sur le point de se faire passer à tabac !). Avec la finesse d'un psy rompu aux détours de l'esprit et la précision d'un sociologue, Gunnar Staalesen dépeint la violence "ordinaire", et presque inévitable, celle qui réside à dose variable en chacun de nous. Elle est désir de domination, déni de l'altérité et a cours dans chaque foyer, chaque milieu social. Chacun lutte avec plus ou moins de force et de facilité pour sa propre survie dans un monde indifférent, animé par l'attrait du lucre.
"L'écriture sur le mur" est ici à la fois réelle (un "T" énigmatique tracé par un juge retrouvé mort, paré de dessous féminins, dans sa chambre d'hôtel) et possède valeur d'indice, et métaphorique. Elle est l'avertissement indéchiffrable, celui qui nous rend comme frappé de cécité verbale à sa vue, la mise en garde divine. Le signe que rien ne va plus, qu'une souffrance a gagné la jeunesse, symptôme du malaise des adultes. Quelle est cette société aveugle qui fait de ses enfants des victimes expiatoires ?
Certes, comme Gunnar Staalesen nous y a accoutumés, le roman se teinte d'une tonalité amère qui sied aux constats de son héros comme à sa personnalité. Certes, Varg Veum est seul, et ses uniques armes sont l'obstination, le courage, le bagou salvateur qu'il garde dans les pires moments et, en dépit de tout, la foi en l'humain. Il y puise enthousiasme et détermination ; il ne renonce pas à traquer la vérité quand ne serait-ce qu'une vie est en jeu. Est-ce dû à ses convictions d'ancien travailleur social ? les actes du détective s'inscrivent avant tout dans le refus de la fatalité : c'est là l'essence même de son combat.

L'écriture sur le mur, traduit par Alex Fouillet, est édité chez Gaïa.

Illustration : Untitled, Jean-Michel Basquiat, 1984. Source : www.laboratoiredugeste.com.