dimanche 25 novembre 2012

Désamour (notes d'automne)

Ce billet m'a été inspiré par Triskell. Ma consœur blogueuse évoquait le désenchantement ressenti lors de son dernier séjour Londres, ville aimée mais peut-être aussi fantasmée. D'où vient cette déception qui semble affecter l'univers qu'on s'est construit ? Que se passe-t-il, à un moment donné, quand l'amour qu'on croyait immuable se fissure ?
On est triste. On aimerait bien comprendre. On aimerait encore aimer.
Je connais ce phénomène avec des parfums. Adulés, puis, la mort dans l'âme, doucement répudiés.
Il en est qui ne passent pas la frontière des saisons. On peut assimiler cette imperméabilité au processus d'éloignement que j'ai abordé. Elle est fonction je crois non seulement de facteurs climatiques, mais aussi psychologiques.
Mauvaise surprise avec Vol de Nuit qui, si vous me permettez, se crashe avec l'arrivée de l'automne. J'en suis fort marrie. Nous nous sommes pourtant aimés. Mais, sur la peau comme sur les vêtements, les aldéhydes ont pris le pouvoir. On ne retrouve plus les notes cuirées, animales, boisées, vanillées qui m'avaient séduite. Elles se sont exilées. Adieu, le chic des Années Folles, leur évocation un peu nostalgique ! Le parfum est devenu plat et coupant comme s'il avait été laminé. Le laminage des métaux modifie leur structure cristalline, leurs constituants intimes. Le froid semble de même altérer la structure de Vol de Nuit, détruire certaines de ses molécules. De poudré, il devient poussiéreux. Je l'avais senti il y a quelques années en hiver et il m'avait rebutée. Je comprends à présent pourquoi. Il présente maintenant un côté vieillot, daté, sans amplitude... Est-ce la seule raison du discrédit ? Dire que j'ai longtemps rêvé de posséder l'extrait (et je mentirais en disant que je n'en rêve pas encore, comme dans un déni des preuves du désamour)... Nous nous séparons donc d'un commun accord. Peut-être reviendra-t-il à de meilleurs sentiments (et moi aussi) les beaux jours venus. Accordons-lui une chance. Il va donc hiberner, en compagnie de Sables, qu'il me tarde tant de retrouver.
Je me suis rabattue sur ma vieille Heure Bleue. Non seulement je dors avec un centenaire, mais je me promène à son bras. Il m'enchante, me réchauffe et me rassure tant le jour que la nuit. Après tout lui aussi a connu une longue période de défaveur, alors qu'il condense tout ce que j'aime. Ce qui n’exclut pas les rêves d'infidélités.
Et puis il me reste quelques fonds de flacons Lutens. Je compare l'ensemble de ses parfums à une forêt. Chaque arbre a son identité et sa signature olfactive. Mais c'est une forêt elfique, celle de la Lórien, où Galadriel aime à se promener parmi les fûts élancés entre lesquels jouent des rais de lumière obliques, tels de longs doigts diaphanes écartés.
Pourtant, rien n'est moins désincarné qu'un parfum Lutens. Le musc, la civette, le costus, le castoréum  nous confrontent à nos humains miasmes, à nos odeurs intimes qu'on traque habituellement sans pitié, mêlant le propre et le sale, la fleur et l'animal.
Parmi eux il y a ceux que j'aime, ceux que j'ai aimés, les erreurs, les passades et les histoires qui durent. Comme Musc Koublaï Khan. Là je louche du côté de Fille en Aiguilles. Ah, celui-là, il faudra que je le sente, que je le teste à nouveau. Tout comme Ambre Sultan, le premier Lutens que j'ai porté, voici quinze ans, et que je m'étais racheté il y a quelques années. Mais je me fais peut-être des idées à leur sujet.
On peut idéaliser ses amours passés, on peut se dire que le prochain sera le plus beau. Au fond certains parfums sont beaux - pour nous - dans nos souvenirs ou dans notre imaginaire. Peu résistent au verdict de la réalité.
Admettre que nous changeons, que les choses changent, que nos attachements et nos goûts sont sujets à fluctuations, que certaines histoires sont vouées à ne pas durer, sans qu'on n'y puisse rien, ce n'est pas si facile. Même s'il s'agit d'un sujet bien futile comme le parfum.
Mais est-il juste de parler de futilité ?

PS : j'ai extorqué obtenu un échantillon de Fille en Aiguilles. Il a passé une journée sur mon poignet et je suis encore fort partagée. La fiolette traîne dans la poche de mon manteau et j'y porte parfois mon nez. Avec plus de regrets que de conviction...
De même, j'ai eu un pschitt d'extrait de Vol de Nuit sur le bras. Il a bien changé en quelques années. Pas à son avantage, hélas. Voilà qui brise ma tentative d'élan - sans illusion - vers lui.
Ambre Sultan reste finalement en tête. Je reprendrais bien ma petite place dans son harem...

jeudi 1 novembre 2012

Chaman (ma vie est orange)


L'arrivée d'un nouveau chat est toujours un événement.
Ça commence toujours de la même façon. Un coup de sonnette retentit. C'est un voisin ou une voisine qui a trouvé un chat perdu et me demande s'il ne s'agirait pas, par hasard, d'un de mes pensionnaires.
Ce n'est jamais un de mes pensionnaires. Mais parfois ça le devient.
Ainsi, le 28 septembre dernier, alors que je songeais tristement à la disparition de Mascaret, tout juste huit mois plus tôt, une voisine se présente à la porte pour me signaler la découverte d'un chaton roux. La liste des passagers ne comporte pas de chaton roux, mais je la suis pour voir l'animal de mes propres yeux. Il se trouve dans la cour d'un des deux hôpitaux de jour qui jouxtent la maison. Il est réfugié sous une voiture et je crains qu'il ne se sauve à mon approche. Je m'accroupis. Et là le petit bonhomme s'élance vers moi, me rejoint et vient se frotter contre mes genoux en ronronnant. Je le caresse. Pelage de feu soyeux sous mes doigts. Le contact est passé. Me voilà conquise, en moins d'une seconde. Tel est le pouvoir de séduction des chats.
Je suis prête à l'emmener mais peut-être ce jeune homme, qui peut avoir trois mois ou trois mois et demi, a-t-il dans les parages un humain qui se désole.
Il est décidé que la voisine fera passer une annonce dans la presse tandis que je garderai le chaton chez moi à titre provisoire.
Une fois à la maison, il se jette sur une assiette de pâtée avant de monter visiter ma chambre et de la trouver à son goût, puisqu'il y prend ses quartiers.
Les jours qui suivent, j'attends fébrilement. Que va donner l'annonce ? Je n'ai pas du tout envie de restituer mon pensionnaire. Mais s'il le faut...
Je cherche un nom au petit rouquin. Si pour certains le nom s'impose immédiatement, baptiser celui-ci est plus difficile. Je tâtonne. Aucun ne semble lui convenir parfaitement, aucun ne me satisfait. Je les rejette l'un après l'autre.
Le temps passe... jusqu'au jeudi où j'apprends que ma voisine a reçu un coup de fil. C'est la consternation. A mon grand soulagement, il se révèle qu'il y a eu confusion : il s'agit d'une personne qui a trouvé un chat dans sa cave et cru que l'annonce concernait un matou perdu. Le chaton reste à la maison. Ouf ! Pas de captation de chat, donc, pas de sentiment de culpabilité ! Et il a trouvé dans la foulée son nom définitif : ce sera Chaman. L'inspiration ? J'ai pris en cours de route un film sans grand intérêt, tiré d'un roman de Jean-Christophe Grangé, où l'on voit à l’œuvre un guérisseur-fantôme issu d'une peuplade sibérienne décimée trente ans plus tôt par l'explosion d'une installation nucléaire. Un chaman... "Intercesseur, intermédiaire entre l'Homme et les esprits de la nature", selon Wikipédia. Cette définition ne s'applique-t-elle pas à nos félins familiers ? 
Au final, personne n'a réclamé le petit roux. C'est un chat abandonné, pas perdu... 


Chaman s'est très vite adapté à ses nouveaux compagnons. Point de heurts, point de feulements hostiles. Il apprécie également son nouvel environnement et ne craint pas le désordre de mon bureau, entre mes notes, le vieil écran et la famille renard de Nourry.


Les Anglo-saxons nomment ces rouquins sublimes "orange cats". Alors je vous offre cette magnifique chanson d'Angelo Branduardi, elle est de circonstance.
Un "nouveau velu" aux yeux de topaze cuivrée, à la livrée flamboyante, aux allures de feu follet. Il n'en fallait pas plus pour faire de moi une fervente adepte du chamanisme.