lundi 28 janvier 2013

Le Hardi grimpe toujours deux fois


C'est une des dernières paroles que j'ai murmurées à son oreille, avant qu'il ne s'endorme. La formule venait de me jaillir à l'esprit, je ne sais pas pourquoi, ni qui avait bien pu me la "souffler", alors qu'il vivait ses derniers moments. Je lui ai chuchoté aussi la plupart des petits mots doux et des "mantras" que je ne destinais qu'à lui.
Il y a un an aujourd'hui, Mascaret, le Hardi Grimpeur, grimpait hardiment au Paradis des Chats.
"Mon Bébert" ne méritait pas cette fin douloureuse entre des mains brutales, indifférentes, pour ne pas dire cyniques.
Je suis sortie de la clinique vétérinaire sans lui. Les cloches de l'église sonnaient. Il était midi. Depuis le son des cloches me rappelle toujours ce moment où un peu de moi est parti avec lui.
Mascaret, "Mascar le Lascar", si beau, si vivant, si aimant...
Le 28 janvier restera un jour noir.

lundi 14 janvier 2013

Donna et mobile

La petite robe imprimée...

Un saut à Lille, quelques jours avant Noël, selon une sorte de tradition. Mais l'ambiance ne reflète pas particulièrement la joie de vivre et l'insouciance malgré l’approche des fêtes. Gens pressés et stressés, du monde dans les magasins... On se croirait un samedi des plus banals. Déjeuner à La Chicorée et léchage de vitrines. Je passe devant la boutique René Dérhy, où je n'ai jamais mis les pieds. Elle ferme à la fin de l'année et liquide son stock. Je trouve toujours ce genre d’événement un peu triste. La diversité n'a plus son mot à dire, la place est à l'uniformisation...
J'ai beaucoup porté cette marque... à l'adolescence ! Ils font encore de très jolies choses. Un peu curieuse, j'entre dans la boutique. Tout est en effet soldé, voire bradé. Je me dirige vers un portant qui affiche le panneau "70 %". Une robe au premier plan a attiré mon attention. Imprimé aux tons d'automne, tabac et gris fumé, drapé, fronces asymétriques, épaules soulignées d'un galon perlé qui reste discret... Je décroche le cintre et me glisse dans une cabine. La robe est nickel, ce que me confirme une vendeuse (mais bon, ne sont-elles pas là pour ça ?). Mes bottes ornées de clous lui donnent un air décontracté. Elle sera plus habillée avec des bottines à talons de dix centimètres. Un vêtement qui me plaît et me va (et puis je porte si rarement des robes) à un prix "dérhysoire"... je me laisse tenter.
J'ai prévu quelques courses à Monop. A l'entrée du magasin me vient un doute : qu'ai-je fait de mon téléphone ? Voilà bien longtemps qu'il ne s'est pas manifesté... J'ouvre mon sac et commence à chercher d'une main. Pas de mobile en vue. Il faut avouer que la visibilité, dans ce vaste foutoir chaos, est réduite. Je commence à perdre patience. Au rayon crèmerie, où se trouve notamment le cottage cheese, c'est en trop. Les grandes mesures s'imposent.
Imaginez la scène : accroupie devant mon sac posé par terre, en train de retourner frénétiquement son contenu, avec pour témoins des yaourts et des pots de fromage blanc. Personne en vue, heureusement. Mais je vais finir par attirer l'attention d'un vigile. Ces maudits sacs trop grands, bourrés de poches mais où tout se mélange et se perd quand même ! En désespoir de cause je décide de revenir à mon dernier point d'arrêt, la boutique Dérhy. Je me vois déjà entreprendre les démarches pour bloquer ma carte SIM, déclarer le vol ou la perte... Les vendeuses - adorables - cherchent dans la cabine : pas de téléphone. Une cliente a peut-être embarqué l'objet ? Je demande à la jeune femme qui tient la caisse de composer mon numéro. J'entends alors retentir du tréfonds des entrailles de mon sac la chanson Pet Sematary des Ramones. Ma sonnerie. Le téléphone est là ! Le localiser est une autre paire de manches. Je remercie les filles et vais m'installer dans un café où j'entreprends une fouille systématique. Ou plutôt un déballage en règle. Il me faut plusieurs minutes avant de mettre la main sur l'engin. Il semble me narguer, comme heureux de m'avoir joué un bon tour. Il a même des messages pour moi. Je le cale dans un coin d'où il ne devrait pas bouger. En principe.
Mais après tout mon téléphone n'y est pour rien. Je peste contre mon sac. J'en ai un autre, noir, bien plus pratique avec ses poches à glissière sur le devant. Cependant, flemme ou force de l'habitude, je n'ai toujours pas opéré le transfert. Cette semaine, c'est promis !

jeudi 10 janvier 2013

Les regrets


On entame l'année, The Normand Bedroom a cinq ans... Serait-ce l'occasion de faire un petit point/une petite pause ? La nostalgie est rarement absente de mes billets. Comme le disait Paracelse, "Rien n'est poison, tout est poison, seule la dose est poison". Il en va de même pour ce sentiment. J'ai pourtant fait un grand effort dans le domaine parfumé en me lançant avec courage et audace dans les bras, pardon, dans les manches, de La Petite Robe Noire. Comme dans une volonté de me libérer, de tourner une page, de ne pas traîner les boulets du passé, chaînes aux chevilles.
Il est cependant des pages si lourdes à tourner qu'on se demande si elles ne sont pas ensorcelées. Ou si on a bien les biceps qu'il faut. Ou encore si on a vraiment envie de les tourner.
Aussi j'ai eu envie de parler de mes regrets. Nous en avons tous. Histoire de voir, aussi, si je les retrouverais à la fin de l'année, dans le même ordre et dans le même état d'acuité. Car ils ont vocation à s'estomper, sous peine de vous pourrir la vie. J'ai longtemps cru à l'effet cathartique (non, ça ne concerne pas les chats qui vivent au Pôle Nord) de l'écriture. Mais, pour paraphraser Valéry, qui affirmait qu'il faut beaucoup d'ignorance pour vivre, je pense qu'il faut beaucoup d'ignorance pour écrire. Sans quoi on se condamne à se répéter. A tourner en rond.
Les sages l'ont professé, les poètes l'ont chanté : les regrets sont superflus. N'empêche, on peut, une fois au moins, prendre le temps de les regarder dans les yeux.
Voici donc une liste, première et sans doute dernière du style, établie un peu à la façon de Je me souviens de Georges Perec.

Je regrette :

- Mon Alfa Romeo 145, "la Tine", qui m'a accompagnée quinze ans durant, par monts et par vaux.

- La courtoisie sur la route (genre le camionneur qui du bras vous fait signe que devant la voie est libre, mais attention, pas un pervers criminel comme dans Duel !). Elle est devenue denrée si rare qu'on s'étonne de ses manifestations.

- Les stations-service d'antan et les pompistes.

- Le Chat Marchal.

- Les 2 CV

- L'ancienne version de Vol de Nuit en extrait. Celle avec un fond vanillé-ambré, escamoté depuis par les reformulations.

- Le rouge à lèvres KissKiss "Brun jazzy" de Guerlain, supprimé du catalogue. Une honte !

- Les éclairs à la violette du stand Meert au Printemps de Lille.

- La boutique Garance à Rouen.

- Les vêtements Christian Lacroix.

- L'époque où j'allais à Paris quatre ou cinq fois par an.

- Le temps des Ramones.

- Mes chats disparus, cela va sans dire. 

- Ma vie avant un certain jour de juin 2001 (les circonstances s'étant enchaînées - ou déchaînées, c'est une question de point de vue - , on peut même remonter jusqu'en mai). Mais

Le doigt de la fatalité inscrit, puis ayant fait, 
Poursuit : ni ta pitié, ni ton esprit
Ne sauraient le tenter d'annuler une ligne,
Tes larmes effacer même un seul de ses mots.

- Le temps gâché perdu depuis.

- Une fête de village au cours de laquelle je suis passée derrière le micro pour entonner avec l'orchestre Je cherche fortune autour du Chat Noir. En contradiction avec ce qui précède.

Cette litanie n'est pas exhaustive. Elle est quand même pas mal étoffée.

Les regrets, ce sont ces ombres, celles des rendez-vous manqués, des amis perdus, des choses disparues, des pattes-d'oie qui défilent au pas de l'oie autour de vos yeux, du temps qui passe. Ecrire, est-ce convoquer ces ombres ? J'avais sans doute cette idée en tête en lançant mon blog. Nostalgie, frustration et, chose moins avouable, désir de revanche ont sans nul doute présidé à sa naissance. Désir de partage et de rencontres, aussi, avec des lecteurs lointains.
Tout ça a donné la Chambre Normande. Un travail solitaire, mais un chemin parcouru avec vous.
J'ai inventé le concept du regret constructif, j'en suis fière, et tant pis pour l'oxymore.

Le quatrain est tiré d'un poème d'Edward Fitzgerald.

Billet validé par Chaman, qui a daigné se coucher sur l'épreuve papier (ce que j'ai interprété comme un signe d'approbation).


mardi 8 janvier 2013

Je me suis laissé avoir

La première rencontre a eu lieu fin 2009. J'étais alors en quête d'un nouvel amour. A l'époque on ne le trouvait que dans les boutiques Guerlain. Je m'en étais procuré une fiolette. J'avais décrété d'emblée qu'il n'était pas pour moi, trop férue d'orientaux ambrés. Et puis en parfumerie l'épithète "gourmand" tend à me hérisser. Mais à un moment de son évolution j'ai admiré, prouesse du nez Guerlain Thierry Wasser, l'illusion du "macaron framboise en 3D", hyperréaliste, saisissante.
Ce prétendant avait pour nom La Petite Robe Noire. Mais le rendez-vous a tourné en eau de boudin et j'ai craqué cette année-là pour un Lutens, bien plus proche de ce que j'attends d'un parfum.
Je restais aussi accrochée à mes vieux Guerlain comme une bernique à son rocher. Accrochée au mythe, à l'Histoire, à la nostalgie, bercée par eux. Ces classiques sont une part de moi et m'ont accompagnée, tel L'Heure Bleue, durant plus de la moitié de ma vie. Adopter ce nouveau jus capiteux mais insouciant, dénué d'ancrage affectif et de pouvoir évocateur, eût provoqué pour sûr un conflit de loyauté. Je l'ai rayé de mes tablettes sans regrets.
Et puis un beau jour, au printemps dernier, La Petite Robe Noire a atterri en masse dans les parfumeries lambda. Il semblait s'en être déversé le contenu d'un Beluga sur les rayonnages. Accessible à toutes à présent, mais non sans avoir subi quelques changements. Car je l'ai essayé.
Sensation assez décevante au premier abord. L'effet macaron a disparu, de même que se sont évaporés les accents verts et chyprés qui se manifestaient en toute fin d'évolution et conféraient à la composition un côté intrigant. En quelques mots, en quittant sa tour d'ivoire, il a perdu de sa complexité et de son originalité. A défaut de pâtisserie laduréenne, on retrouve un accord de fruits rouges, cerise noire si l'on en croit le descriptif officiel, confiture de framboise en sus pour moi. Le tout est enrobé par un patchouli présent mais discret, plus rond que terreux. En outre il possède un poli, un arrondi, une cohésion, une qualité d'exécution propres à Guerlain, même s'il n'a rien à voir avec ses illustres ancêtres.
J'ai obtenu un échantillon de cette Petite Robe-là. Le petit contenant de verre a traîné sur la commode dans l'entrée. Il s'en échappait insidieusement des volutes de tabac blond miellé et de foin coupé assez irrésistibles je dois l'avouer. Pas étonnant que le parfum fasse un carton, avec hélas pour corollaire l'anonymat...
Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis. Face à tant d'insistance je me suis laissé avoir. Piégée comme une bleue par tant de séduisante facilité. Par ce jus joyeux et sans mémoire, un peu aussi par la chanson entraînante (et vengeresse !) de Nancy Sinatra, par la silhouette filiforme évocatrice d'émancipation qui l'incarne. Il se comporte plutôt bien sur ma peau, avec une tenue plus qu'honorable. Vaporisé sur mes vêtements, il m'entoure d'une odeur de... miel, curieusement. Ce n'est pas désagréable. Il sait même se faire rassurant quand vient l'heure du coucher, avec ses effluves de barbe-à-papa et de nougat croquant.
Porter un parfum sans attaches, sans histoires, sans souvenirs, sans fantômes dans son sillage, sans prise de tête, qui se contente de sentir bon, parfois ça fait du bien.
Alors, foucade d'un hiver ou relation durable ? On verra. Nos histoires avec nos parfums ne sont heureusement régies par aucune loi.


Il y a cinq ans aujourd'hui s'ouvraient la porte et les fenêtres de ma Chambre Normande. Je n'avais pas la moindre idée de l'apparence qu'elle prendrait au fil des billets et soupçonnais encore moins qu'elle perdurerait ainsi dans le temps. Pour fêter cet anniversaire je porte La Petite Robe Noire, et j'irai même jusqu'à esquisser un pas de rock, boots aux pieds of course.
Merci à mes fidèles lecteurs.