mardi 11 octobre 2016

A la poursuite d’Octobre Rose (le manteau rouge)


C’est l’histoire d’un petit bout de ruban rose, formant une simple boucle. Je l’arbore depuis près de deux ans sur mon manteau « rouge cuit » en drap, le premier truc chaud à pointer son nez hors de ma garde-robe alors qu’un froid précoce se jette sur nous comme la faim sur le monde.
J’examine d’abord ledit manteau sous toutes les coutures, si je puis dire, pour m’assurer que les mites n’ont pas fait un festin cet été, le pis étant les dégâts vicieux, à peine détectables, qu’on ne voit qu'au moment de sortir. Tout l’art de la mite consiste à ruiner un vêtement par un trou de quelques millimètres-carrés particulièrement bien - ou mal - placé. Qu’on se le dise, les mites sont des bêtes retorses, des gouffres de perversion.
Cette année, encore une fois, mon manteau est intact. Sauf qu’il y manque ce petit bout de ruban rose, fixé par une épingle à nourrice au niveau de mon cœur. J’en suis fort marrie. Car ce ruban a une histoire. J’aime les choses - et les gens - qui ont une histoire, un parcours accompli avec moi, mais aussi avant moi. Les choses et les gens qui sont des rencontres.
Fin octobre 2014. J’ai décidé de passer l’après-midi à Lille, pour faire du lèche-vitrines, fouiner à la F**C (et peut-être discuter le bout de gras avec un vendeur passionné), prendre un café noisette à « La Chico », essayer quelques rouges à lèvres dans mes lieux de perdition préférés et faire main basse sur un tube ou deux de ce précieux et indispensable auxiliaire. Mon circuit se termine, je suis un peu fatiguée, je dois regagner la Petite Tine à l’abri dans son parking, mais j’ai décidé d’aller auparavant humer quelques parfums dans une boutique située au bout du bout d’une rue pavée du Vieux-Lille. Je traîne un peu la patte et dois m’aiguillonner : LA rencontre olfactive que j’attends est peut-être au bout du chemin.
Me voici arrivée dans l’antre des perfumistas lillois et d’ailleurs. Décor boudoir, quantité hypnotisante de parfums sur les étagères… La vendeuse est occupée et c’est une charmante jeune femme qui s’adresse à moi. Je souhaite découvrir quelques créations que j’ai en tête. Les "pschitt" se succèdent sur les touches de papier, je retrousse la manche de mon manteau pour livrer mon avant-bras aux molécules d’Ambre Russe, un jus qui me fait rêver depuis longtemps. La jeune femme, très sympathique, m'apprend qu'elle est stagiaire. Elle aimerait devenir socio-esthéticienne et travailler dans les cliniques pour apporter aux femmes le plaisir, souvent oublié ou négligé, de prendre soin de soi et se faire belle. Si certains affirment que ce n’est pas une priorité, je rétorque qu’un reflet flatteur dans le miroir participe d’un meilleur moral. Et donc d’une plus grande confiance en soi. On marque des points sur la maladie. On la foule aux pieds. On est mieux armée. Et je remarque, épinglée à la blouse de mon interlocutrice, une boucle de ruban rose qui m’intrigue. Elle me parle alors d’Octobre Rose, cette campagne annuelle de sensibilisation au cancer du sein. Je connais Octobre Rose. Le cancer aussi, je connais, à travers une personne très proche. Cette campagne, ce combat, m’interpellent. J’évoque ma propre expérience. La guerre - des malades, des équipes soignantes, de l’entourage. Les forces qu’il faut aller chercher très loin au fond de soi. On n’en sort pas indemne. Etrange et grave conversation dans ce lieu dédié à la beauté, à la légèreté, à la futilité, aussi, diront d'aucuns. J’en oublierais presque pourquoi je suis ici. Je me dis que la légèreté est un droit. Quand je demande à la jeune femme où me procurer cette frêle bannière - la campagne touche à sa fin -, elle n’hésite pas, décroche le ruban de sa blouse et me le donne, dans un geste spontané. Je l’épingle illico à mon manteau, bien visible, sur mon cœur. Un parfum ? Oui, j’aime beaucoup Ambre Russe, mais je vais garder la touche sur moi (souvent je glisse ce mince support de papier parfumé entre ma peau et mon soutien-gorge), et je reviendrai. Je sors de la boutique pensive, un peu remuée, et environnée d’effluves insolites ou rassurants, collés à mon épiderme ou se baladant dans l’air…
Or, voici quelques jours, alors que j’extrais mon manteau de sa retraite estivale, je m’aperçois que le ruban a disparu. Je n’ai pas souvenir de l’avoir porté sur un autre vêtement. Je fouille frénétiquement ma garde-robe, lampe-torche au poing. Rien. L’épingle, minuscule, se sera ouverte et aura glissé de l’étoffe. Cela me chagrine beaucoup…
C’est cet après-midi, avant de sortir, que je retrouve le ruban, épinglé sur le côté droit de mon manteau. Il me crevait les yeux. Comment est-il arrivé là ? Ai-je été victime d’un phénomène de cécité sélective, d’un « blindspot », comme disent les psys, cet angle mort de l’esprit ? Cela restera une énigme des plus obscure…
Je ne me suis plus préoccupée de ce mystère. J’ai vérifié que le ruban était bien fixé. Et bien en évidence. Cette année encore, il me semblera déployer, dans mon manteau rouge, le symbole d'une cause universelle, d’un combat, qu’il soit celui des femmes ou celui des hommes touchés par cette saloperie de crabe. Par solidarité. Et pour, à ma façon, témoigner.

« L’amour qu’on vous porte vous donne la force, l’amour que vous éprouvez, le courage. »


3 commentaires:

Anonyme a dit…

Touchante "petite" histoire : sourire anti-mite puis émotion que tu nous fais partager, comme nous partageons cette cause.

Triskell a dit…

C'est une très belle image que cette modeste broche de satin qui va d'une poitrine à l'autre. Tu pourrais aussi l'offrir à ton tour, pourquoi pas, et ainsi de suite.
Touchée aussi par cette sale maladie, j'ai envie de dire, comme tout le monde, j'arbore pour ma part un autre symbole, plus intime, qui ne me quitte jamais.

Hélène Flont , french illustrator a dit…

Chère Rafaèle , l'épée accrochée à un frêle satin rose qui dodeline au dessus de ma tête, me rappelle toujours combien l'amitié des gens et des chats , à parts égales, nous maintient , et combien lorsque nos petits animaux nous quittent, le courage s'amenuise un peu. Bosco , le petit Scipion et ma Babette nous furent de chères petites créatures et nous les aimerons toujours et sans oubli.